samedi 26 mai 2007

Au bord de la lagune, Swanborn, qui a fait fortune en brevetant un procédé de séparation du brut, a construit un lodge luxueux où cohabitent chercheurs du WCS et touristes nantis. Ce magnat épris de nature, fils d'un ancien directeur de la Shell, ne s'encombre pas de romantisme: «La seule manière de protéger efficacement ces écosystèmes, c'est de réussir à faire de l'argent», assure-t-il. Premier arrivé, premier servi: le site de Loango, avec ses pachydermes aquaphiles et ses îlots truffés de singes, a tout pour devenir une destination phare du tourisme nature élitiste, à la manière du Botswana ou de la Namibie. «Surtout si l'on peut garantir la vision des gorilles», souligne le biologiste Lee White, directeur du WCS au Gabon, qui étudie ces primates depuis quinze ans. «Les gorilles, c'est la planche à billets, confirme le biologiste Conrad Aveling, ancien responsable d'Ecofac au Gabon. Dans le parc des Virunga, en RDC, l'habituation des gorilles - leur relatif “apprivoisement” - a généré un bénéfice annuel de 1 million de dollars, avant que le virus Ebola ne les décime.» Mais il y a un hic: contrairement aux gorilles des montagnes, qui évoluent dans un «bol de salade» géant, rendant leur approche et leur observation aisées, les gorilles des forêts crapahutent toute la journée sous les frondaisons. Depuis dix ans, White et ses chercheurs du WCS tentent d'habituer un groupe - sans succès.
Depuis 1985, l'ONG américaine a su affirmer sa présence, confortée par une indéniable expertise scientifique et des moyens impressionnants. Lee White a joué un rôle clef dans le classement des parcs, en parvenant à convaincre les exploitants forestiers de déplacer leurs activités des zones les plus riches en biodiversité vers des sites de moindre valeur écologique. On lui doit aussi le recensement des lieux méritant d'être protégés, qui a permis d'établir la cartographie des réserves.

Car, sur le terrain de la conservation aussi, Américains et Français se livrent une bataille feutrée. Implantée dans la région depuis une douzaine d'années, Ecofac, l'émanation de la Commission européenne en Afrique centrale, n'est pas parvenu à s'imposer face à la force de frappe de la puissante ONG. «Des associations américaines comme le WCS, le WWF, Conservation International (CI) ou le Jane Goodall Institute sont plus riches que certains Etats africains, explique le vétérinaire français Philippe Chardonnet, directeur de la Fondation internationale pour la sauvegarde de la faune. Face à ces mastodontes, le secteur associatif français se trouve dans un état d'immaturité totale. Le problème, c'est que nous n'avons pas du tout la même philosophie de la conservation.»
Quand les Anglo-Saxons sanctuarisent la nature, les Français œuvrent à une approche plus humaniste: «On ne fait pas de la conservation pour la conservation, affirme Yves Nouvellet, conseiller pour la recherche forestière et environnementale au Cirad. Notre credo, c'est d'impliquer les populations, de les placer au centre des dispositifs de protection, de former des chercheurs locaux, de responsabiliser les gens.» Marie-Paule Mboumba, éducatrice pour le WCS, parcourt les villages de la Lopé pour sensibiliser parents et enfants à la protection de la nature: «Quand un troupeau d'éléphants ou de mandrills a saccagé les cultures la nuit précédente, on n'est pas toujours très bien reçu, reconnaît la jeune femme. Ces villageois vivaient des ressources naturelles: cueillette, chasse et pêche. Des pratiques interdites du jour au lendemain, sans accompagnement ni compensation financière.»

Et ce n'est pas la tournée de sensibilisation des stars locales de la chanson, Annie-Flore Batchiellilys et Pierre Akendengué, qui emportera seule la conviction des villageois. «Pour gagner leur soutien, il faut que les parcs leur profitent, insiste Conrad Aveling. Au Congo et au Cameroun, on a construit des routes, des hôpitaux et des écoles en lisière des réserves. L'argent des bailleurs de fonds doit aussi servir à alléger la pauvreté.» Protéger les hommes, pour sauver la nature.

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