mardi 15 mai 2007

"Parler aux arbres"
meyaya@iboga.org



Séminaire Iboga
Déjà trois semaines que j’ai reçu l’initiation au Bwiti. Des souvenirs s’estompent, d’autres ressurgissent.
Je remercie celui qui m’en a parlé le premier et qui m’a offert d’aller dans la Drôme, en France, à le rencontre du Nganga Mallendi. Je dédie ce témoignage à ceux qui se croient perdus, ceux qui pensent mourir bientôt et à Milonga.

Comment vont les choses de la terre ? Le printemps a une saveur et un éclat particuliers pour moi cette année. Je peux entendre/lire/sentir les messages que m’envoient les plantes. Dès le deuxième jour, en me promenant dans les environs de l’initiation, les primevères et les violettes parsemées dans les prés ou sur les bords des chemins me parlaient en couleur. Malgré le ciel couvert et la neige fondue qui tombait, elles avaient l’éclat d’un jour de plein soleil. Au détour de ces chemins, j’ai rencontré mon frère, le pin voyageur. Plus loin, j’ai hurlé à la mort et pleuré sur des hêtres qui venaient d’être abattus sur l’autre versant de la montagne. En descendant par les champs, les chênes encore secs de l’hiver m’instruisaient. Les plus jeunes se moquaient de moi en dansant. Je continue à communiquer avec les plantes qui m’entourent ici à Bruxelles; j’observe, étonné comme jamais et joyeux, la floraison et l’arrivée des feuilles. Je me réjouis de traverser le parc chaque matin pour aller au travail à Forest.

Je suis venu à l’initiation bwiti avec deux questions: comment lâcher cette volonté de contrôle ? comment ouvrir plus mon cœur ? J’ai reçu des réponses, au delà de mes questions.

Je me suis vu très vieux, proche de la mort, et très jeune, encore nourrisson, seul sur un sol froid. J’ai pris ce bébé dans mes bras et je l’ai réchauffé, cajolé, aimé. J’ai retrouvé Margot, la jument de mon grand-père, morte ou vendue lorsque j’avais un an et demi ou deux. Je n’avais d’elle aucun souvenir conscient, seulement des photos où l’on me voit dans ma poussette sous les naseaux du cheval. Je l’ai vue dès la première nuit. Le matin, en me promenant dans les bois, une carcasse de cheval brûlée m’est apparue dans un amas de branches et de souches. Je compris à travers ces différentes visions que ce cheval disparu était à l’origine d’une volonté de contrôle et d’une agressivité qui faisaient que j’étais toujours «chez les autres» et rarement «chez moi ».

La musique que jouait le Nganga (arc musical et harpe) était d’une richesse et d’une douceur infinies. L’aède jouait de la harpe pendant que l’iboga me racontait l’histoire de la terre, une histoire très ancienne, triste et caressante. Mallendi jouait seul pourtant l’arc musical démultipliait les registres : je pouvais entendre quatre instruments différents. C’est lui qui m’a suggéré ces milliards de fourmis microscopiques qui chacune nettoyait une de mes cellules en dansant sur le rythme avec la musique. Ce sont elles qui m’ont entraîné dans une danse régénératrice, au centre de la pièce, face aux musiciens. J’ai trouvé dans cette danse une flexibilité et une précision inconnues jusqu’alors.

La deuxième nuit, j’eut beaucoup de peine à accepter ma gueule enfarinée dans le miroir. Pour y échapper, je jouais l’enfant gâté qui s’énervait en hurlant des insanités dans la bassine et en la jetant devant lui parce qu’il ne parvenait pas à vomir comme tout le monde. Dans le miroir, il y avait un vieux insupportable, l’air vague et suffisant. La peur de vieillir, la peur de mourir, tout était là. Et rien d’autre. Sauf parfois un éclat métallique et assassin qui passait dans le regard, l’œil du requin. En même temps que cette vision nauséeuse et infernale, des souvenirs affluaient à mon esprit à une vitesse record, beaucoup plus vite que la première nuit; tellement vite que je n’avais guère le temps de faire de lien entre eux ou de relier ces objets, ces moments, à une histoire. Un peu comme le contenu d’un grenier immense où personne ne pourrait plus reconnaître les vies ou les gens derrière les objets eux-mêmes sans aucun lien entre eux. Tout ce que je pouvais faire c’était jeter. Jeter, jeter, jeter …Je me demande bien ce que je foutais avec tout ce brol dans ma tête.

A la fin de la deuxième nuit je commençai à m’inquiéter. J’étais censé construire : je n’avais fait que me voir, visiter et jeter (mais pas vomi). Je m’entendis alors demander à Mallendi, presque sans hésitation et étonné de ma propre question, « tout ce que j’ai jeté à laissé une forme dans mes neurones, comment dois-je faire pour que cette structure aussi disparaisse et que mon cerveau retrouve sa configuration originelle? » autrement dit, pour utiliser une image qui va mieux avec l’engin que j’utilise en ce moment, j’avais écrasé les fichiers ou les programmes, comment devais-je faire pour supprimer les répertoires dans lesquels ils se trouvaient ? Il me répondit. Je suivit son conseil…

Je trouvais alors une douceur incommensurable. Mon pauvre cœur malmené s’ouvrait à moi. Mon regard changeait, les paupières plus lourdes, devenait plus doux. De ma bouche entrouverte s’échappait un souffle ténu qui venait du coeur. Oh, mon pauvre cœur! c’est comme si je retrouvais un ami perdu de vue depuis très, très longtemps. Ce cœur nu, si timide, paraissant si fragile, je l’avais mis sous scellés. Il attendait depuis des années pour apparaître, se manifester.

Pour une raison que je n’ai pas élucidée, j’ai fait le chemin prévu par l’initiation quasiment à l’envers. J’ai surtout construit la première nuit et surtout détruit la seconde. J’ai traversé cette nuit là ce que les autres avaient traversé la première; après seulement j’ai pu comprendre leur abattement, leur sentiment de vide et, pour certains, leur crainte au début d’une deuxième nuit avec l’Iboga.

Dans mon corps aussi, la plante a fait le chemin à l’envers. N’ayant pas vomi, les glaires sont sorties par l’autre extrémité du tube digestif. Cette distinction ne m’a pas empêché de ressentir une grande tendresse pour mes compagnes et compagnons d’initiation. Je peux les considérer frères ou sœurs sans difficulté, alors que la fraternité est quelque chose qui m’avait toujours mis mal à l’aise bien qu’elle s’affichait au fronton des écoles républicaines. Le vomir ensemble comme socle du vivre ensemble ? Je sais en tout cas que je ressentais une grande joie à les entendre vomir au point de rire encore à ce souvenir, comme je riais aux premiers vomissements de chaque nuit d’initiation. Vous comprenez alors ma frustration de n’avoir pas pu participer à ces émonctions.

Dès le deuxième jour, j’ai eu le sentiment d’avoir reçu un précieux trésor en partage. Je ressens encore une immense gratitude. Dieu merci, l’Afrique a gardé ce secret, par delà les guerres, l’esclavage et la colonisation, et le met aujourd’hui à notre portée d’occidentaux ignares en la matière. Nous avons peut-être tout pensé mais nous avons laissé notre corps loin derrière. Perdant ce rapport élémentaire, nous avons perdu notre rapport à la terre et continuons à la détruire, inconscients. Le paysage primitif de la Gran Sabana, au Venezuela, me disait quand je l’ai rencontré cet hiver : «la terre est vieille, elle vous a portés, humains, pendant plus d’un million d’années, il est grand temps que vous preniez soin d’elle». La terre d’Afrique, à travers la racine d’Iboga, me disait la même chose.

Comment ? Je pense que la plante a procédé par communication directe avec mon système neuro-végétatif. Je peux maintenant faire mienne l’hypothèse d’un chercheur élaborée à partir de la prise d’Ayahuasca : l’ADN de la plante communique avec l’ADN de l’humain par émissions lumineuses. Cet hypothèse est de la plus haute importance pour nos neurosciences qui s’arrêtent au support matériel (physico-chimique) de la pensée. L’aspect lumineux de ce qui se passe à travers nous est peut-être ce qui fait la différence entre pensée et conscience. Et la localisation de cette conscience n’est sans doute pas le cerveau.

Nous autres européens avons tout pensé ou presque…mais notre conscience est celle d’un pré adolescent mal élevé. L’iboga m’a permis de changer de paradigme, d’échelle de valeurs, de reconsidérer l’ordre des choses et des civilisations.

Alain MARCEL
15 mai 2004

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