samedi 26 mai 2007

L'Express du 14/02/2005

Sur les rives du fleuve Ogooué, noir comme du jus de réglisse et bordé d'arbres à fièvres, vivent des petits éléphants qu'on appelle assalas. La forêt est leur royaume, impénétrable vue d'avion, pareille à un champ de brocolis, qui moquette le fond des vallons et les collines mamelues. Tout y est pygmée sous la ramure serrée, l'homme comme le buffle, le crocodile comme l'antilope, ou le minuscule céphalophe bleu ou jaune qui patauge dans le lit des rivières sous l'œil ambré de la panthère. C'est l'aube des temps, quelque part au Gabon, aux portes du pays okanda, où l'homme vivait déjà il y a 400 000 ans. Au cœur de la deuxième forêt pluviale du monde après l'Amazonie: l'immense canopée dite «du bassin du Congo» couvre 2 millions de kilomètres carrés, soit 6% de la surface boisée planétaire.
Le président Omar Bongo a décrété que le Gabon serait «la Mecque de la nature»
Les 4 et 5 février, les chefs d'Etat des pays qu'elle tapisse - Gabon mais aussi Cameroun, République centrafricaine, République démocratique du Congo, Tchad, Guinée équatoriale et Congo, rejoints par le Rwanda, le Burundi et São Tomé et Principe - se sont réunis à Brazzaville pour le 2e Sommet sur la protection du bassin du Congo et la ratification d'un traité relatif à la conservation et à la gestion durable des écosystèmes forestiers d'Afrique centrale.
En septembre 2002, au Sommet de la Terre de Johannesburg, les Etats-Unis prenaient l'initiative d'un partenariat pour le bassin du Congo, rassemblant Etats, bailleurs de fonds et ONG. A cette occasion, Omar Bongo, président du Gabon, annonçait en fanfare le classement de 10% de son territoire (soit près de 30 000 kilomètres carrés) en aires protégées. En créant 13 parcs nationaux, Bongo faisait de la nature gabonaise l'une des plus protégées du monde. Où en sont les promesses? Deux ans après, retour sur un engagement historique au pays des éléphants rouges et des hippopotames surfeurs.
L'histoire ressemble à une success story hollywoodienne: après son «Megatransect», une balade à pied à travers la jungle de 456 jours et plus de 2 000 kilomètres, digne de Pierre Savorgnan de Brazza en personne, un explorateur yankee va porter la bonne parole auprès d'un chef d'Etat africain pour le convaincre de protéger les ressources d'un pays qu'il ne connaît même pas.
C'est ainsi que la légende narre la rencontre, en 2002, de Mike Fay, biologiste de la Wildlife Conservation Society (WCS), vénérable société de conservation américaine implantée au Gabon depuis vingt ans, et d'Omar Bongo, ouvrant des yeux émerveillés devant les images fabuleuses des monts de Cristal, des chutes de l'Ivindo ou des plateaux Batéké qu'on lui présente. Bongo découvre qu'il y a moyen d'exploiter les richesses de la forêt autrement qu'en la débitant en rondelles - l'okoumé, qui abonde ici, est utilisé pour fabriquer du contreplaqué. Depuis lors, le président a décrété que le Gabon serait «la Mecque de la nature» - rien de moins.
De tous les pays de la région, le Gabon, grand comme la moitié de la France, est le moins densément peuplé. Les trois quarts de son 1,2 million d'habitants vivent dans les centres urbains, à Libreville, Port-Gentil ou Franceville, délaissant, depuis les années 1920 et la colonisation française, leurs collines boisées pour s'établir le long des (rares) axes de communication.
Pourtant, c'est un jardin d'Eden. Un écrin végétal qu'il est urgent de soustraire aux appétits des forestiers. Plus de 400 espèces de mammifères, un millier d'oiseaux recensés, au moins 10 000 végétaux et un taux d'endémisme très élevé en font un réservoir de biodiversité unique. On y croise les plus grands troupeaux de primates d'Afrique, des rassemblements de plus de 1 millier de mandrills jacassant dans les corridors forestiers qui quadrillent la savane de la Lopé, au centre du pays. Plus de 20 000 gorilles de plaine, 40 000 chimpanzés, 60 000 éléphants, des milliers de potamochères à rouflaquettes sillonnent ces paysages intacts, se rassemblent dans les «bais», ces clairières foisonnantes de vie qui ouvrent comme des embrasures dans l'océan de verdure.

L'Express du 14/02/2005
L'or vert du Gabonde notre envoyée spéciale Marion Festraëts

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